mercredi 2 janvier 2008

La porte dans le mur


A bout, essoufflée, je tourne à droite. Peu importe où je vais.
Fuir, fuir la douleur que tu viens de m’infliger. Sèche, brutale, violentt, ton - Je prends le premier avion, je te quitte.
J’ai ouvert la bouche pour te répondre. Je n’ai pas pu.

Il fait encore sombre, il n’est que six heures. La pluie a laissé des traces d’humidité sur les trottoirs, des papiers volent, tressautent au gré du vent.
M’éloigner de toi, de cet hôtel où tu m’as emmené. Tu voulais te plonger dans les bas fonds de Londres. Créer «l’atmosphère», renifler les odeurs, t’imprégner des passants, des couleurs, surtout celles des murs.
Peut-on appeler ça de la couleur ? La grisaille t’inspire m’as-tu dit. Pas moi.
Il est vrai que je n’ai aucun talent d’artiste. Combien de fois me l'ai-je entendu durant ces années ?

Je veux me reposer de cette course folle. Courir, pour moi est difficile, je ne sais pas non plus courir.
Je dois m’arrêter, mes poumons de fumeuse vont exploser. Les rares passants s’écartent sur mon passage.
Peu importe où je vais, j’ai perdu le sens de l’orientation. Il faut que je m’arrête. Je m’engouffre dans une rue. Je m’appuie contre le mur, je reprends mon souffle.
La pierre est froide. Je me laisse m’écrouler sur le sol.
La rue est si étroite, qu’en allongeant les jambes je peux toucher le mur d’en face. Sur ma droite, une porte, au-dessus, une ampoule blafarde, allumée. Je suis haletante.
Cette impasse est immonde, sale.
Je me relève, frotte mon manteau qui doit être noir. Cela ne te plairait pas, toi, le méticuleux ne supportant pas un pli froissé.

Le mur qui soutient ma fatigue est humide. Il ne me réchauffe pas. Un mur ne réchauffe pas la froideur d’une rupture.

J’observe le mur d’en face. Noir de la crasse du temps, quelques graffitis obscènes. Belle atmosphère pour le peintre qui vient de me plaquer.
Atmosphère, ce mot dont tu me rabattais les oreilles. Cela me fait penser à la réplique d’Arletty, mais je n’ai pas, moi, « une gueule d’atmosphère », je t’ai fait fuir.
Où mène cette porte ?
Je ne sais pas où je suis, je ne sais plus qui je suis. J’ai oublié de penser par moi-même depuis que je vis avec toi, le peintre merveilleux, l’artiste reconnu qui m’a promené dans les musées, les expositions en tout genre.

Les papiers vieillis par le temps, délavés, s’amoncellent le long des murs de l’impasse.
Comment peut-on supporter cette saleté, en rentrant chez soi. L’ampoule est toujours allumée malgré le jour.

Toi, tu m’as façonnée, créée, comme une peinture. Avant toi, je ne m’intéressais pas à l’art, avec un grand A, comme tu me le répétais.
- Tu vas voir, cela va te faire regarder la vie avec d’autres yeux.
C’est ce que tu m’avais dit au cours de ce dîner incroyablement ennuyeux chez Sylvaine. C’est sûrement pour ça, que je t’ai écouté, à cause de ce dîner ennuyeux.

Tu m’as séduite par tes mots, ton regard et surtout tes mains. Tes longues mains posées bien sagement sur la table, que je regardais furtivement.
Tes mains dont j’ai suivi tant de fois la caresse sur mon corps. Tes mains qui transformaient une toile blanche, en tableau. J’étais éblouie, aveuglée par les couleurs de ta peinture, de tes mots.

Le ciel est nuageux, si bas, que j’ai l’impression qu’il va m’envelopper de sa grisaille.
J’étouffe dans cette rue, je me sens enfermée, il faut que j’en parte mais, je suis si fatiguée de ma course.
Cette porte fermée...

L’humidité du mur me transperce et ma douleur réapparaît, remonte lentement, me submerge, j’ai envie de hurler, je ne me le permets pas.
Ma respiration se calme. Je fumerais bien une cigarette. Je fouille mes poches, vides. Des mégots jonchent le sol. En les regardant, je revois le cendrier plein à côté de ton chevalet. Les larmes arrivent, les premières, je les refoule.

Je m’approche de la porte. J’ai envie d’y frapper, pour qu’elle s’ouvre, recevoir un bonjour souriant dans cette noirceur.
Que fais-tu en ce moment ? Je tente de t’imaginer. Fais-tu tes bagages ? Es-tu dans un taxi ? Déjà à l’aéroport ?
Je n’ai pas d’image, comme si ma souffrance m’ôtait toute mémoire de tes gestes.
Que vais-je devenir ? Trois ans que je suis derrière toi. Tu m’as tout appris. Tiens, j’ai même appris à me taire, tu es si brillant.

L’oreille collée à la porte, j’écoute. Pas un bruit. Je regarde l’heure, je n’ai plus la notion du temps, ma fatigue me l’a fait perdre.
Neuf heures.
Je n’ose pousser la porte. Si c’était un squat ? J’ai tellement entendu parler de ces squats bourrés de drogués. Toi tu l’aurais ouverte, tu n’as peur de rien.

Tu m’as quittée si violemment pourquoi ? Que vais-je faire sans toi ? Tu décidais de tout, j’aimais bien me laisse vivre.
- Je vais te prendre en charge, je saurais toujours anticipé tes désirs ; tu vas tout découvrir, laisse toi faire.
C’est ce que tu m’avais dit le jour où j’ai emménagé chez toi, vite, trop vite sûrement.
Oui, je me suis laissée faire.

Je m’oblige à pousser la porte. Elle s’ouvre sur la clarté qui m’éblouie. Coincée dans mes pensées entre ces murs noirs, je ne me suis pas rendue compte que le soleil avait percé les nuages.
Un terrain vague, du bruit, des klaxons, des enfants qui crient. Entre ces deux murs, je n’ai rien entendu, sourde à la vie.
Cette porte que j’ai osé ouvrir est celle de ma libération de toi, Adrien.
Je relève le col de mon manteau, j’ai froid, j’ai envie d’un café.

Saint Martial Août 2006

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