samedi 12 janvier 2008

Crimes exemplaires







La confession

Comme il est difficile pour moi de l’entendre.
Elle murmure, plus qu’elle ne parle. Le ton est si bas, que je dois faire un effort d‘écoute. J’égrène mon chapelet, tripote ma croix.
Il fait si froid, j’ai froid, il fait sombre, j’aimerais bien somnoler.
Elle prend son temps pour me raconter sa vie, emmitouflée dans son manteau, elle, n’a pas froid et peut prendre son temps.
J’entends des talons claquer sur le sol, des livres qui se ferment, des murmures de prières, je sens un courant d’air.
Et j’écoute, sans intervenir, je voudrais que cela cesse.
Les adultères murmurés de madame Minérale me gâchent mes nuits, je n’en dors plus.

Je me lève, tandis qu’elle continue sans mon écoute, à détailler ses rencontres adultérines.
J’arrache le crucifix pendu au confessionnal et la poignarde par où elle a péché.
Son corps, mollement tombe, il ne me hantera plus.
Je lui donne l'extrême onction.
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Le tricot

Elle arrive presque en courant et me gifle.
J’ai fait griller l’ampoule de son lampadaire qui l’éclaire quand elle tricote des heures entières.
Cette gifle sera la dernière.
Je l’étrangle avec l’écharpe inachevée, l’épingle à son cou avec les longues aiguilles d’acier.
Je n’entendrai plus le tic, tic de ses aiguilles.
Je change l’ampoule, m’assois dans son fauteuil sous le lampadaire, prends une pelote de laine et monte des mailles pour me faire une écharpe bleue.

Il y a si longtemps que je voulais une écharpe bleue.

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Pension de famille

Chaque soir, Anette arrive en retard au dîner. Dès qu’elle entre dans la salle à manger, Madame Harolde lui fait la remarque : « une pension de famille n’est pas un hôtel, soyez à l’heure. »
Anette rayonnante, franchit la porte :
- bonsoir tout le monde, excusez-moi du retard.
Un court instant, les cuillères restent en l’air, les têtes se tournent vers elle et murmurent un vague bonsoir.
La soupe est tiède. Madame Harolde nous fait attendre Anette et, la soupe refroidit dans la soupière sans couvercle.
Je déteste la soupe tiède. Je déteste Anette, si sure d’elle.
Elle fait exprès d’être en retard, pour que tout le monde la regarde. J’ai bien vu son manège.
Elle a pris la chambre que je convoitais, lorsque Mademoiselle Babou est morte. Une peste elle aussi. Dieu est son âme. Sa chambre, je la voulais, la fenêtre donnant sur le jardin. La seule qui donne sur le jardin.
Anette s’est installée avant que je ne rentre. Et Madame Harolde ne lui a pas dit que la chambre, m’était promise.
Cette soupe tiède, quelle horreur. Et un dîner de plus pendant lequel il va falloir manger au galop. La cuisinière elle, devant partir à l’heure.

A la fin du repas, comme tous les soirs, nous allons au salon prendre une tisane.
Tiens Anette n’est pas là.
La fenêtre du balcon est ouverte, je m’y avance, il fait si chaud dans cette pièce. Anette est perchée sur une chaise. Penchée, par dessus la balustrade, elle tente d’attraper son foulard qui s'est envolé. Il est coincé à droite, sur le mur de la façade.
«Voulez-vous que je vous aide Anette ? »
Anette tourne la tête vers moi, surprise, elle ne m’a pas entendu avancer vers elle.
Je la pousse.
Déséquilibrée, elle bascule et s’écrase six étages plus bas. Le foulard s’envole et la rejoint lentement.
Sa montre s’est brisée, demain la soupe sera chaude et je pourrais déménager de chambre.

Je rentre, il fait un peu frais.
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Un repas sans fourchette
Je ne supporte plus qu’il mange avec son couteau. Cela fait vingt ans.

Je le regarde piquer son couteau dans le morceau de fromage, le porter à sa bouche et entendre ses dents racler la lame, lorsqu’il le retire.
Il mâche lentement, avale et recommence.
Il pique son fromage avec le couteau, le porte à sa bouche, racle la lame en le retirant.
Il n’a jamais su manger avec une fourchette, même la viande. Il n’a jamais voulu faire d’effort, pour moi, surtout au restaurant.
Il découpe minutieusement ses morceaux, avant de les piquer de son couteau pour les porter d’un geste lent à sa bouche, ses dents raclent la lame.
Cela fait vingt ans et aujourd’hui, le grincement de ses dents est très fort dans le brouhaha de la salle du restaurant.

Je le regarde, la tête tombée sur sa poitrine, la fourchette, enfin utile, plantée dans sa gorge.

Saint Martial août 2006

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