lundi 18 août 2008

Héritage

Mon «allô» et mon rire ont rappelé ceux de Solange, à ma cousine.
J’avais oublié cet héritage.
Héritage silencieux, douloureux, j’aurais préféré qu’elle me transmette par son regard qu’elle voulait me voir, me connaître.

A quoi m'a servit le leg de cette mère qui a refusé de me parler, il n’y a qu’elle qui pouvait me donner son histoire, ses souffrances de femme et de mère.

Le voulait-elle ce contact ? Elle, qui n’imaginait pas que son moteur allait caler.
Caler définitivement sans pouvoir repartir et relancer ce corps dont l’esprit était si douloureux et si triste.
Son cœur meurtri a abandonné, a lâché sans la prévenir.

Je n’ai pas pu la consoler et cela me fait mal. Elle n’a pas voulu me faire par-tager ses douleurs.
Son âme a dû s’envoler, surprise, regardé ce corps, en se demandant ce qui se passait et le quitter lui si douloureux sous les coups reçus de sa vie.

L’héritage s’était fait depuis longtemps, sans que je le sache. Sa vie qui malgré la distance a marqué d’une façon indélébile ma façon d’être et de penser.
Savait-elle de son vivant, en me revoyant dans ce café sinistre à Paris, en m’entendant trois ou quatre fois au téléphone, en regardant mes photos, que j’étais son double physique et, que le son de ma voix, l’intonation de mes mots, l’éclat de mon rire les pas de ma marche étaient les siens ?

Je voudrais dire à l’aide d’un stylo, à ses enfants à mes filles qui l’ont jugée, que sa vie était souffrance de m’avoir laissée en consigne, pensant qu’un jour elle viendrait me reprendre. Qu’elle n’avait pas abandonné la lourde valise que j’étais, juste un dépôt, pas un oubli.

Mais ces mots que je voudrais offrir à sa mémoire seraient aussi pour Elle, pour lui dire que je ne savais pas, et que c’est pour cela que je n’ai pas pu la consoler, l’entourer de mes grands bras.

Moi l’enfant abandonnée, je voudrais écrire le livre de ma mère, moi qui n’ai pas eu le bonheur de savoir que ma mère m’avait cachée dans le secret de son cœur.
Moi sa fille française qui n’ai pas connu la douceur de ses mots, de ses caresses ; je voudrais lui offrir le livre de sa vie, pour que ses enfants et petits enfants sachent qu'elle n’a pas été une mère indigne pour moi.
Que ces mots qui seraient couchés, soient une trace indélébile, gravée sur du papier pour que personne n’oublie : elle a été ma mère et je ne le savais pas.
Que son mari l’a volé à moi et que non, elle n’était pas une putain, seul message qu’elle m’a transmis par ma fille, lors de leur rencontre à Bogota.

Elle ne pouvait pas se battre, trop loin, trop seule, trop battue, trop tenue par le chantage de son mari, qui voulait délivrer son secret à sos enfants.

Ses enfants oh combien fautifs !
Ils ne m’ont rien dit lorsqu’en octobre 1992, deux d’entre eux sont venus chez moi pour me connaître. Ils sont venus me voir comme une bête curieuse, plus que comme leur sœur, la fille française de leur mère. Ils ne m’ont pas parlé de ses souffrances, des coups reçus par leur dictateur de père, rien dit de sa vie colombienne, si triste, si douloureuse.

Un mot de leur part et, je serai allée la voir, lui parler, la consoler de mon abandon, lui dire ce qu’elle n’a jamais su décrypter au travers de mes lettres : je ne l’avais jamais haïe, je l’avais toujours cherchée, voulue, désirée, aimée.

Ces mots qui formeraient des pages pour délivrer sa souffrance de femme et de mère.

Moi l’enfant qu’elle a oubliée, je l’ai vue rire et bouger au milieu de ses huit enfants sur une pellicule noir et blanc.
Ce noir et blanc qui a fait exploser ma souffrance d’enfant du manque de mère, de la noirceur du sans amour, qui a fait remonter une bouffée d'amour pour elle, que j'avais toujours enfoui.
Mais je savais peut-être, depuis le jour où elle m’avait laissé en consigne à Versailles qu’elle ne voulait pas m’abandonner.
A moi son enfant oublié, elle m’a légué sa ressemblance physique.
Pourquoi à moi ?
Moi l’abandonnée, je ressens ce besoin de lui dire que sa vie de souffrance a été aussi en partie de ma faute et que je sors de ma consigne pour aller la délivrer.

Je suis allée en Colombie alors qu’elle avait déjà quitté ce pays, sans savoir qu’un jour, j’irais la chercher dans l’absence physique.
Bien sûr j’aurais préféré trouver au bout de ma re-cherche, elle, ma mère m'accueillant physiquement.
Les secrets de sa souffrance l’ont empêché de m’ouvri ses bras qui n’avaient jamais pu me serrer.
Mutilée le jour où elle s’est mariée, son mari lui a coupé les bras afin qu’elle ne puisse plus jamais m’entourer.
Lui, chirurgien-massacreur savait qu’il l’emprisonnerait, elle, victime de sa barbarie, afin que plus jamais elle ne soit ma mère.
Elle a toute sa vie caché sa douleur de mère emprisonnée au pays de l’El Dorado, riche de ses douleurs seulement.

Trop muette, trop longtemps enfermé dans la souffrance, son cœur en a explosé sans prévenir un matin d’octobre.
Ce jour là, elle m’a encore abandonnée, elle n’y était pour rien.
C’était l’heure, l’horloge de la vie l’avait décidé son âme le savait, son esprit à dû suivre, étonné de ne pas avoir fini sa vie, de ne pas avoir pu prendre sa liberté.

Trop tard pour notre rencontre physique, trop tôt pour que je puisse la perdre encore.
C’est pour cela que je suis allée la chercher dans les paroles et regards de ses enfants dont elle ne m’avait jamais vraiment parlé ; elle trop coupable de m’écrire sa vie de mère.

Dans ce pays où elle s’est perdue, loin de moi, moi avec cette soif inassouvie de la connaître, de savoir, savoir qui elle était et pourquoi elle m’avait abandonnée.

Elle m’a volontairement oubliée le jour de mes un an, dans une consigne, pensant revenir me chercher.
J’ai ouvert cette porte fermée depuis si longtemps en allant la chercher en Colombie.
Elle détient encore la clé de ma délivrance qui ouvrira ma rencontre avec elle et me permettra de définitivement jeter le ticket sur lequel il a été écrit : abandon.

Mai 2005

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